Un visiteur scrupuleux

Mon Louvre par Antoine Compagnon

Un visiteur scrupuleux

Ce monsieur, en pantalon blanc et chemise rose, tient une liasse de papier à la main gauche, un stylo bille dans l’autre main, et une bouteille d’eau serrée sous le bras droit. Il se hâte d’un cartel à l’autre dans les salles du XVIIIe siècle français et coche à chaque fois une ligne sur ses feuillets. Il semble disposer d’une liste de tous les tableaux du Louvre qu’il a imprimée avant de venir pour être sûr de ne pas en rater un. J’ignorais qu’un tel relevé existât et qu’il fût aisément téléchargeable. Je me renseignerai. Le visiteur s’arrête devant chaque étiquette, jette un rapide coup d’œil à l’œuvre, ou pas, pointe sa liste et passe au cartel suivant. Je le suis un moment. Cette fois-ci, il se trouve devant une Étude de mains de Nicolas de Largillière, entre Le Tombeau de maître André, scène de la comédie italienne par Claude Gillot, et une Fête champêtre, par Bonaventure de Bar (Sully, salle 917). Au-dessus, une grande Composition décorative du même Largillière. Quatre œuvres de la Régence que j’aperçois grâce à lui. M’auraient-elles arrêté sans cette petite filature ? Je le laisse alors qu’il monte les quelques marches vers la salle des peintres de Louis XIV (Sully, salle 916). Car un détail me trouble chez cet homme scrupuleux : il parcourt le musée à rebours de la chronologie.