Pendants

Mon Louvre par Antoine Compagnon

Pendants

Encore une course dans le musée à la manière de Bande à part. Aujourd’hui, je voudrais voir d’un seul coup d’œil les deux langoureux Fragonard qui se répondent, La Chemise enlevée (Sully, salle 930) et Le Feu aux poudres (Denon, salle 714), scènes qui auraient scandalisé Louise Villedieu, la « putain à cinq francs » que Baudelaire emmena une fois au Louvre. Mais les deux petits tableaux sont accrochés à des étages différents et aux antipodes du palais. Aller de l’un à l’autre représente une sacrée trotte mais vaut le détour. C’est que le premier a appartenu au docteur La Caze et le second à Carlos de Beistegui, deux donateurs parmi les plus généreux du Louvre. Les œuvres du docteur La Caze ont été dispersées, mais la collection Beistegui, qui a beaucoup bougé, voisine à présent avec la peinture britannique, mêlant ses Rubens, David, Delacroix, Meissonnier et alii à son prodigieux Goya : le portrait que la comtesse del Carpio, marquise de la Solana, fit faire au peintre peu avant de mourir afin de laisser une image aux siens. Auprès des plantureuses créatures de Fragonard, la comtesse de Goya, maladive sous sa robe noire, sa mantille et ses gants blancs, exhibe tout de même une touche de rose : le grand nœud enrubanné dans ses cheveux qui rapetisse son visage.