Degas le Jeune

Mon Louvre par Antoine Compagnon

Degas le Jeune

La ligne de partage des eaux entre le Louvre et Orsay ne va pas sans fuites ni bavures. En principe, 1848 fait la division, et les artistes nés après 1820 ont dû filer vers la rive gauche. Mais beaucoup pourraient figurer des deux côtés de la Seine : Daumier, né en 1808, actif dès les débuts du régime de Juillet, réside à Orsay, de même que Millet et Courbet, nés eux aussi avant 1820 et célébrés avant 1848 (L’Atelier du peintre a même été acquis en 1920 avec l’aide de la Société des amis du Louvre), tandis que les innombrables Corot du Louvre, entrés avec la collection Moreau-Nélaton (Sully, salles 949 et 950), avancent si loin dans le siècle que l’on voudrait confronter leur « bonhomie » — mot habituel de Théophile Gautier pour Corot — à la vivacité des impressionnistes (la collection Georges Thomy Thiéry [salle 951] abrite tout de même quelques paysagistes du second Empire qui n’ont pas rejoint Orsay). L’exception la plus criante dépend de la collection Hélène et Victor Lyon, car le testament des donateurs impose sa réunion au Louvre (Sully, salle 903). Ainsi, les Monet côtoient les Guardi, les Tiepolo voisinent avec les Boudin et les Sisley, si bien que le visiteur pressé — il y en a —pourrait même s’épargner la traversée du pont du Carrousel ou du pont Royal. Le plus savoureux de ces empiètements est franchi par le Degas du Louvre, La Sortie du bain, pastel que le cartel date des environs de 1895, mais que le catalogue en ligne du musée fait remonter à l’année 1846 : Degas avait douze ans, mais la borne de 1848 est restaurée, magiquement respectée.