Gilles et Bethsabée

Mon Louvre par Antoine Compagnon

Gilles et Bethsabée

Aujourd’hui, je me suis donné pour tâche de remarier Gilles et Bethsabée, séparés depuis près d’un siècle. Le Pierrot de Watteau, dit auparavant Gilles, et la Bethsabée de Rembrandt appartenaient à la collection du docteur Louis La Caze, la plus importante donation faite au musée du Louvre en 1869, à la mort du docteur. Sa collection fut longtemps présentée ensemble, dont le XVIIIe siècle français, Boucher, Chardin, Fragonard, Greuze, Nattier, Watteau, qu’il avait contribué à redécouvrir, et de grands peintres comme Rembrandt, Hals, Tintoret, Vélasquez, au premier étage de l’aile Denon, dans la belle salle aujourd’hui décorée du ciel de Cy Twombly (Denon, salle 663). Mais la collection La Caze fut dispersée dans les années 1920 et ses œuvres rejoignirent leurs siècles et écoles respectifs. Gilles et Bethsabée se perdirent de vue. Je rêvais de réunir ces deux joyaux du Louvre en courant d’une traite de l’un à l’autre et je commençai par Bethsabée au bain tenant la lettre de David (Richelieu, salle 844), avant une longue traversée de l’aile Richelieu et de l’aile Sully, le long de la rue de Rivoli. Je tentai de conserver en tête l’image de Bethsabée afin de la déposer auprès de celui que j’appelle encore Gilles. J’en fus pour mes frais : Gilles s’était absenté pour restauration au CR2MF (le Centre de recherche et de restauration des musées de France). Heureusement que je l’avais parfaitement en mémoire. Malgré ma déconvenue, je reliai les deux tableaux comme ils le demeurent idéalement unis pour l’éternité.