

Faut-il mener les enfants au musée ?
Mon Louvre par Antoine Compagnon

Faut-il mener les enfants au musée ?
Julien Gracq enfant, que sa mère menait dans les salles des sculptures grecques et romaines du Louvre pour faire son éducation artistique, tombait en extase devant ce qu’il nommera plus tard « la nudité criminelle » : « Elle ne savait pas ce qu’elle faisait, écrira-t-il à l’âge adulte. Elle ne pouvait pas se douter que je sortais de là dans une sorte d’ébriété sexuelle qui me faisait d’autant plus souffrir que j’ignorais la cause précise de cette torture » (Partir avant le jour, 1963). Combien d’enfants des anciennes générations auront découvert leur sexualité lors de leurs visites au musée, devant la Vénus de Vienne (Sully, salle 344) ou l’Antinoüs de Tibur, montage moderne, non moins émouvant (Denon, salle 405) ? J’y pensais en observant deux jeunes gens en arrêt devant l’Hermaphrodite de la salle du Manège, provenant de la collection de Mazarin, mutilé par son neveu, le duc de Mazarin, dans un accès de folie (Denon, salle 405). On conduisait les enfants au Louvre pour qu’ils s’instruisent des canons de le beauté classique ; ils y découvraient le désir. Impossible de passer sous silence cette fonction traditionnelle du musée, désormais rendue obsolète par la diffusion de masse de toutes sortes d’images sur Internet.