

Balthus avant Balthus
Mon Louvre par Antoine Compagnon

Balthus avant Balthus
J’avoue que je ne m’étais jamais arrêté dans cette salle, qui d’ailleurs n’en est pas vraiment une, mais un corridor entre les salles David et Ingres au deuxième étage sud de l’aile Sully. J’ai parlé jadis des Boilly réfugiés dans une alcôve donnant sur ce vestibule (Sully, salle 938), parce que je m’étais intéressé dans le passé à sa représentation des petits métiers parisiens et que je les avais cherchés. Mais, faute du recul qui permettrait de les observer d’un coup d’œil, j’étais souvent passé devant les Pierre de Valenciennes sans les voir (Sully, salle 936). Quelle erreur ! Se font face deux murs tapissés de paysages italiens bord à bord, tous plus heureux, paisibles les uns que les autres, le lac de Nemi, la villa Borghèse, la villa Farnèse, le Colisée, l’Etna, tout un Grand Tour. L’artiste les avait dessinés en plein air dans les années 1780, pour lui-même, pour se souvenir, pour emmagasiner des images. Rien n’illustre mieux la fameuse « douceur de vivre » de la fin de l’Ancien Régime que ces deux peupliers, intitulés Fabriques à la villa Farnèse, parfaite combinaison du ciel, de l’horizon bas, de l’ocre des maisons et du chemin, et des verticales des deux arbres étroits, tendus vers le ciel. L’ombre paraît indiquer la fin de l’après-midi. On devine la leçon que Corot apprit de Pierre de Valenciennes. Il y trouva ce que Théophile Gautier appellera chez lui la « bonhomie », la spontanéité, le refus du poncif, la présence. Plus tard, on la retrouvera dans les paysages de Balthus ou de Morandi.