La plus belle nature morte française ?

Mon Louvre par Antoine Compagnon

La plus belle nature morte française ?

C’est à cause de Pascal Quignard, qui en parle dans Tous les matins du monde (1991), précieux roman dont Alain Corneau a tiré un film la même année, que je suis remonté voir Le Dessert de gaufrettes de Lubin Baugin, peint vers 1631 (Sully, salle 911). Dans le roman, le compositeur Sainte-Colombe, veuf mélancolique, vivant reclus avec ses deux filles, refuse de paraître à la cour de Louis XIV et a pour élève Marin Marais. C’est lui qui a commandé le tableau à Lubin Baugin. La nuit, le fantôme de sa femme lui rend visite et s’assied à la table, devant le verre de vin, la bouteille recouverte d’osier tressé, l’assiette d’étain contenant quelques-unes de ces fines gaufrettes que l’on appelle des oublies, et elle l’écoute jouer de la viole. La pureté géométrique du tableau — plan et lignes de la table, cercles de l’assiette et de son ombre, courbes transparentes du verre, galbe de la bouteille, cylindres des gaufrettes — en fait une œuvre idéale pour accompagner la sublimité que Sainte-Colombe recherche dans son art. Certains font de ce bijou, exceptionnel dans l’œuvre religieuse de Baugin, la plus belle nature morte du Louvre. C’est certainement la plus harmonieuse.