Comparatisme honteux

Mon Louvre par Antoine Compagnon

Comparatisme honteux

Je n’aime pas trop le comparatisme. Tous les livres sont uniques, toutes les œuvres sont singulières. Mais, comme tout le monde, je cède facilement au vice qui consiste à reconnaître l’ancien dans le nouveau, ou bien le nouveau dans l’ancien, par cette sorte d’anachronisme que Proust sauvait en lui donnant la noble appellation de « réminiscence anticipée », quand il trouvait une phrase de Flaubert chez Montesquieu. Ainsi, devant ce plat provenant de l’Irak du Xe siècle, comme je suis un béotien en la matière, je devine une céramique de Picasso ou de Victor Brauner faite aux ateliers de Vallauris après la Seconde Guerre mondiale. Je n’y peux rien, je sais que c’est naïf, mais dans ce guerrier porte-étendard au centre d’un plat monochrome, dans son visage réduit à quelques traits, dans son corps et dans la bannière qui se déroulent autour de sa tête, dans la calligraphie qui le couronne, dans l’épée ou le glaive que je crois deviner, j’hésite à voir la fin de la figuration dans une certaine culture ou le début de l’abstraction dans une tout autre culture dix siècles plus tard. Au fond je m’en fiche. Je ne suis pas là pour faire la leçon mais pour dire mon émerveillement devant un objet qui sollicite toute ma mémoire (Denon, salle 185).