Un Giacometti en contrebande

Mon Louvre par Antoine Compagnon

Un Giacometti en contrebande

Je reviens au Louvre après une absence de trois semaines. Tout n’a pas changé, mais ce n’est tout de même plus tout à fait le même musée. Les touristes du mois d’août se sont débandés ; les visiteurs paraissent moins impatients, plus studieux. Quelques palissades sont tombées tandis que d’autres ont été dressées. En chemin vers la galerie Charles X, je passe devant la salle des Sept Cheminées, barricadée depuis longtemps (Sully, salle 660). Elle a rouvert, resplendissante dans ses murs noirs, donnant sur la Seine comme la galerie d’Apollon. C’était le pavillon du roi entre Henri II et Louis XIV (lequel y aurait été conçu). Son plafond de boiseries a été déplacé et surplombe aujourd’hui, majestueusement, les trésors de Toutankhamon (Sully, salle 639), de même qu’ont disparu les sept cheminées qui donnaient son nom à la salle. J’admire Le Triomphe de Mardochée et L’Évanouissement d’Esther, grands tableaux classiques haut accrochés de Jean-François de Troy, sur un thème que je collectionne parce qu’il était cher à Proust. Mais parmi les pièces étrusques auxquelles la salle est désormais consacrée, m’arrête net cette haute et mince silhouette d’une divinité prodigieusement allongée, aux seins pointus. Seul le traitement de la tête — permettez-moi la vulgarité d’une antonomase — distingue la statuette d’un Giacometti