

Jouer au gardien
Mon Louvre par Antoine Compagnon

Jouer au gardien
Ce jour-là, j’avais oublié de retirer le badge d’« auteur en résidence » qui me permet d’entrer au Louvre. D’habitude, je le mets en poche pour me promener incognito. Dès le palier Denon (Denon, salle 404), l’ancienne entrée de mon enfance, une jeune femme me demanda les toilettes. Dans ce coin-là, je ne sus que lui dire, mais je décidai de garder mon badge pour vivre un après-midi durant l’expérience d’un agent de surveillance. Je ne vous dirai pas combien de fois on m’a demandé les toilettes, question primordiale. On s’est enquis de la Vénus de Milo alors qu’on était au deuxième étage de l’aile Richelieu ou, pire encore, des arts de l’Afrique quand nous nous trouvions dans la cour de Khorsabad. Quel défi pour expliquer comment rejoindre l’aile ouest de la Cour carrée, traverser la Grande Galerie, aller jusqu’au bout du pavillon des Sessions, trouver l’escalier descendant vers la porte des Lions ! Mes touristes se sont sûrement perdus vingt fois en chemin. La question la plus cocasse vint de deux gamins rencontrés dans la galerie Campana avec leur classe : « Quelle est la hauteur de la salle 660 ? » La salle 660 ? Ce sont des professionnels qui parlent comme ça ! Je consultai mon précieux Répertoire de poche des salles du musée. La salle 660, c’est la salle des Sept Cheminées, d’où ils venaient. « Quatorze mètres », risquai-je. Ils le notèrent dans leur cahier. Il y a maintenant un collège de France où l’on croit que la salle des Sept Cheminées a quatorze mètres de hauteur. C’est ce qu’on appelle une Fake News. La prochaine fois, je retirerai mon badge.