

Pleurer devant "L’Homme au gant"
Mon Louvre par Antoine Compagnon

Pleurer devant "L’Homme au gant"
La manière qu’avait Gide de fréquenter le Louvre me semble la plus judicieuse. Il y faisait halte sur son chemin entre Auteuil et le quartier latin, souvent, mais en passant, pour voir un tableau ou revoir une salle, un jour « les Poussin et les David » (I, 239), un jour la sculpture française (Houdon, Rude, Carpeaux) (I, 324), un jour la « merveilleuse tête (très petite) de Ptolémée, roi de Maurétanie » (I, 270), récente acquisition qui n’est malheureusement plus exposée (Ma 1888), un jour les Fragonard de la salle La Caze (I, 499), dont l’étonnant Portrait de l’abbé de Saint-Non, peint « en une heure de temps » (Sully, salle 929). Ainsi, par un après-midi de 1893, ce ne sont ni Vinci ni Rembrandt qui l’émeuvent, mais L’Homme au gant de Titien, « devant qui j’ai pleuré », avoue-t-il (I, 169). Ce que Gide recherche dans ces toiles, « c’est le peu de vie qui reste encore » une fois qu’elles ont été transportées au musée. Dans le portrait de Titien, il est sensible à « l’intensité de vie qui s’y trouve », intensité qui fait « la valeur d’une chose », que la vie en question soit celle de l’artiste ou de son modèle, ajoute-t-il. Pour que l’étincelle prenne, pour que le tableau fasse pleurer après plusieurs siècles, leurs vies à tous deux, il me semble, au modèle et à l’artiste, doivent s’être rencontrées avec intensité (Denon, salle 711).