

Albertine petite fille
Mon Louvre par Antoine Compagnon

Albertine petite fille
La salle des Géricault, au deuxième étage de l’aile Sully, est pour moi l’une des plus fascinantes du musée, l’une des plus inquiétantes aussi. Tous les tableaux dérangent, bien sûr La Folle monomane, droguée du jeu, ou la Course de chevaux, représentation précoce de la vitesse, ou encore La Mort de Géricault par Ary Scheffer. Géricault était un peintre beaucoup trop jeune, beaucoup trop doué pour mourir. Mais c’est vers la petite fille à la grosse tête, tenant un énorme chat placide sur les genoux, que je porte mon regard le plus longtemps, parce qu’elle-même me regarde fixement, bien avant les petites filles de Balthus, plus élancées qu’elle, mais avec le même air malicieux (Sully, salle 941). Cette troublante gamine, c’est Louise, fille d’Horace Vernet, plus tard femme de Paul Delaroche : toute une vie entre les peintres. Le genou et le mollet qui dépassent entre la jupe et la socquette, sans une égratignure, retiennent l’attention, répondant à la joue rouge et rebondie. La chevelure crespelée annonce celle des Jeunes filles en fleurs de Proust. Bref, voici Albertine en petite fille.