L’interne éternel
Mon Louvre par Antoine Compagnon
L’interne éternel
Ces deux portraits sont peu éloignés dans l’immense musée du Louvre et on parvient aisément à les revoir d’une traite, celui d’Ernest Chassériau, élève de l’École navale de Brest, exposé au Salon de 1836 par son grand frère, Théodore Chassériau (Sully, salle 943), et Le Collégien de Camille Corot, peint vers 1854 (Sully, salle 949). Les deux garçons se ressemblent et leur pose est identique. Ce sont là des enfants sages, sérieux dans leur uniforme noir ou bleu foncé, leurs mains sont docilement croisées, ils s’appuient d’un coude au dossier d’une chaise, leurs lèvres sont serrées, leurs yeux sont tristes. Tous deux ont une fossette au menton, mince fantaisie sur le fond marron à la David dont les silhouettes se détachent. Une forte mélancolie imprègne ces deux portraits de l’interne français qui a quitté sa famille pour rejoindre le pensionnat où il subira la discipline, depuis les collèges jésuites de l’Ancien Régime jusqu’au lycées de l’Empire et de la République, enfermement dont on ne se remet jamais. Dieu sait pourquoi, je suis à leurs côtés