Les livres de pierre

Mon Louvre par Antoine Compagnon

Les livres de pierre

Ces deux livres de grès m’intriguent. Ce sont des livres feints, de faux livres. L’un est blanc, l’autre émaillé gris et bleu. Armoriés, ils proviennent de Rhénanie, l’un de Raeren, entre Liège et Aix-la Chapelle, l’autre de Siegburg, non loin de Cologne, régions de céramique. Ils datent de la fin du XVIe siècle. L’imprimerie a un peu plus d’un siècle, mais deux siècles plus tôt, Pétrarque s’était rendu dans ces villes de tradition savante à la recherche de manuscrits de l’antiquité. Ces jolis livres factices ne sont pas de purs bibelots, mais des ustensiles satisfaisant un besoin précis : ce sont des chauffe-mains, d’élégantes chaufferettes à ranger en poche avant de se rendre à l’église ou au temple afin de prévenir les engelures (Richelieu, salle 521, OA 444 et 454). Ces livres ne peuvent pas contenir de braises, mais j’imagine que leur matière conserve la chaleur le temps du service. Cerise sur le gâteau, ils ont appartenu à Charles Sauvageot, deuxième violon de l’Opéra de Paris, modèle du cousin Pons de Balzac, lui aussi musicien, célibataire et collectionneur. Sauvageot fit don de centaines d’objets du Moyen Âge et de la Renaissance, dont nombre de plats de Bernard Palissy, au Louvre, où il logea durant ses dernières années et où une salle porte son nom (Richelieu, salle 518). Enfin, ces livres de grès me rappellent les livres de plomb d’Anselm Kiefer, inutiles eux, mais beaux, dont ceux de la Danaé exposée sur le palier de l’escalier Nord de la Cour carrée.