

De pareilles indécences
Mon Louvre par Antoine Compagnon

De pareilles indécences
Baudelaire, qui donnait rendez-vous à sa mère au Louvre plutôt que de lui rendre visite chez son beau-père, le général Aupick, raconte d’autre part une visite au musée en compagnie d’une jeune femme qui vivait de ses charmes : « Louise Villedieu, putain à cinq francs, qui, m’accompagnant une fois au Louvre, où elle n’était jamais allée, se mit à rougir, à se couvrir le visage, et, me tirant à chaque instant par la manche, me demandait devant les statues et les tableaux immortels comment on pouvait étaler publiquement de pareilles indécences. » Je me suis souvent demandé quels chefs-d’œuvre du Louvre provoquèrent l’indignation de cette courtisane. J’ai pensé à la mystérieuse Gabrielle d’Estrées de l’école de Fontainebleau (Richelieu, salle 824), mais elle entra au Louvre en 1937, aux Baigneuses de Fragonard (Sully, salle 929), mais elles arrivèrent avec la collection La Caze en 1869. Si la Diane au bain de Watteau (Sully, salle 917) n’apparut au Louvre qu’en 1977, irait en revanche la Diane sortant du bain de Boucher (Sully, salle 919), acquise en 1852, mais je parierais volontiers sur Vénus, Satyre et l’Amour endormi du Corrège, provenant de l’ancienne collection royale, aujourd’hui dans la Grande Galerie (Denon, salle 712). Du temps de Baudelaire, il me semble, le tableau était accroché dans le Salon carré, où en vérité beaucoup des chefs-d’œuvre serrés sur les murs purent choquer la prude Louise Villedieu.