La tête de Louis XIV

Mon Louvre par Antoine Compagnon

La tête de Louis XIV

L’autre jour — c’était encore un vendredi soir de nocturne —, je traversais, comme d’habitude sans trop m’arrêter, l’imposante salle Louis XIV, avec ses lourds fauteuils et canapés, ses armoires, ses commodes et ses bibliothèques, ses tapisseries et ses piédestaux (Sully, salle 602). Ce n’est pas la salle où je m’attarde le plus volontiers. Pourtant, une lumière particulière m’immobilisa alors que je levais les yeux vers l’immense portrait de Louis XIV par Hyacinthe Rigaud, majestueux, solennel, grandiose, hiératique, considérable (il vaut bien cinq adjectifs). L’éclairage fit soudain que la tête se détacha du corps, brilla autrement que le reste du tableau. Je restai stupéfié. Puis je me rappelai que j’avais naguère commenté dans un cours et un livre le portrait de l’abbé de Rancé par le même Rigaud, où le visage, à la suite d’une visite clandestine à la Trappe, avait été dessiné de mémoire par le peintre, puis incrusté dans la toile composée par ailleurs. Il paraît que Rigaud avait cette habitude. Louis XIV posa pour son visage, qui fut marouflé sur la vaste toile représentant le trône fleurdelysé, le manteau du sacre, l’épée de Charlemagne et tous les symboles du pouvoir, enfin une grande perruque, et le collage se voit sous un certain angle, à vrai dire sous tous les angles une fois qu’on le sait.