

La tête et la main
Mon Louvre par Antoine Compagnon

La tête et la main
Un jour, Gide se rend au Louvre pour revoir les Poussin (Richelieu, salles 825 et 826). Il éprouve d’abord de la déception : les tableaux, note-t-il dans son Journal, lui ont « paru ternes ». Ils témoignent d’une « espèce de maladresse » et montrent certaine « pesanteur d’exécution ». Observant les rares visiteurs non avertis pénétrant dans ces salles excentriques, j’ai l’impression qu’ils partagent le jugement de Gide : « aucune maestria de la main », « aucun brio », alors qu’ils viennent de quitter les Rubens de la galerie Médicis et qu’ils ont les yeux remplis de mouvement (Richelieu, salle 801). Devant Le Jugement de Salomon (Richelieu, salle 826), ne concluront-ils pas, comme Gide, que « chez aucun artiste peut-être la tête n’a dominé de plus haut le métier » (I, 514) ? Chez Poussin, la tête domine la main : voilà l’idée reçue, qui n’est pas fausse. D’ailleurs la main se mettra à trembler dans les dernières années et la tête parviendra à la contrôler. Il faut rester longtemps devant les Poussin, comme je l’ai fait avec Marc Fumaroli, pour comprendre leur éloquence. Quittant Poussin, Gide « tombe en arrêt » devant Le Jugement de Salomon de Valentin de Boulogne, et nous avec lui, car il se trouve encore sur notre chemin (Richelieu, salle 830). « Œuvre presque pathétique », dit-il. Il lui faudra revenir vers les Poussin pour se convaincre de leur grandeur. J’y retourne sur-le-champ.