De Twombly à Morellet en passant par Anselm Kiefer, il est courant d’évoquer la présence des artistes contemporains au Louvre sous l’angle des « œuvres pérennes » conçues pour le musée. Pour répondre à ses commandes, les uns et les autres l’ont marqué, au plus profond de sa chair, en investissant ses murs ou ses plafonds.
Des pixels aux pigments
Trois des quatre panneaux installés dans la rotonde Valentin de Boulogne renvoient aux images d’une vidéo, glanée en ligne, montrant un peintre en train de nettoyer sa palette. Tuymans y voit un écoulement sanguinolant, une scène de crime sur le point d’être dissimulée. Par son échelle imposante, L’Orphelin « regarde » ainsi du côté de la peinture d’histoire dont il rend les fixes violences abstraites.
Si la palette représente l’outil le plus partagé des peintres, elle désigne aussi la singularité d’un artiste (« sa palette »). Le motif opère ici comme une référence au passé du Louvre, jadis atelier des peintres parisiens.
Récemment encore, la rotonde (dont l’architecture octogonale rappelle la forme même d’une palette) accueillait Les quatre saisons de Poussin. Dans cet espace circulaire, les successions climatiques de son cycle résonnent avec les « boucles algorithmiques » du net auxquelles Tuymans « arrache » les images qui composent son œuvre. La rotonde semble désormais métamorphosée en un diorama non figuratif.
Des pixels aux pigments, les images contemporaines dont il use sont revues et corrigées par le temps long de l’art : L’Orphelin nous fait revoir la palette comme la table rase des avant-gardes, un espace d’alchimie surréaliste où la couleur devient sang, un lieu de l’effacement minimaliste auquel Tuymans promet aussi son œuvre l’année prochaine.
Logiques de la disparition
On pourrait voir dans cette absence un clin d’œil aux fantômes qui hantent le musée : une fois recouverte, l’œuvre de Tuymans sera toujours présente mais sans cesse invisible.
Ses palettes – orpheline de pinceau comme de toiles – jouxtent un panneau figurant une œuvre, perdue par l’artiste, réalisée en 1990. Le petit tableau disparu (35/40cm) figurait l’arrière de la tête d’une poupée créée par l’artiste allemande Käthe Kruse. Par cette citation-copie, Tuymans ne joue-t-il pas aussi avec l’imaginaire des copistes du Louvre immortalisés par Hubert Robert ? Et dans le « zoom » opéré sur la nuque du poupon (comme par le titre de l’œuvre) comment ne pas penser à la désarmante frontalité de la Jeune orpheline au cimetière (1824) dont Delacroix dirige aussi le regard hors champ ?
Si la taille réduite du tableau perdu rendait le fragment d’un corps, sa monumentalité actuelle convoque d’autres imaginaires politiques du Louvre. Et Tuymans de souligner : « Il y a aussi dans cette image un élément important : la tête est comme décapitée. On ne peut pas oublier ce qu’a dit Georges Bataille sur le Louvre, c’est finalement avec l’emploi de la guillotine que ce lieu est devenu public. »
Dans l’échafaud de la rotonde, le peintre place les visiteurs dans ce point de bascule où les fils qui lient l’image à la peinture, le détail au monument, une œuvre à son absence, menacent de se rompre.
Retrouvez L'Orphelin par Luc Tuymans du 22 mai 2024 au 26 mai 2025 dans la Rotonde Valentin de Boulogne du musée du Louvre.
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