Les Saisons d’Arcimboldo, une restauration qui restitue aux œuvres leur intégrité.

Restauration

Le 3 juin 2024

Les Saisons d’Arcimboldo ont retrouvé les cimaises de la Grande Galerie après une restauration qui les a métamorphosées. Rencontre avec Sébastien Allard, directeur du département des Peintures, Vincent Delieuvin, conservateur en charge des peintures italiennes du XVIème siècle, et Roberto Merlo, restaurateur.

Comment les Saisons sont-elles arrivées au Louvre ?

Les Saisons ont été acquises en 1964. Leur origine est bien documentée : la série fut offerte par l’empereur Maximilien II de Habsbourg à l’Electeur Auguste de Saxe. Quand il en reçoit la commande en 1573, Arcimboldo est installé à la cour de Vienne depuis onze ans. Portraitiste officiel, il est surtout célèbre pour ses « têtes composées », des assemblages de végétaux, d’animaux ou d’objets divers qui symbolisent une figure allégorique ou une vraie personne. Les Saisons sont de virtuoses et amusantes inventions et elles comportent aussi une dimension symbolique et politique. Elles évoquent les quatre âges de l’homme (l’enfance, l’adolescence, la maturité, la vieillesse), les Eléments (Air, Feu, Terre, Eau) et les tempéraments (sanguin colérique, atrabilaire, flegmatique), selon un jeu de correspondance entre les différentes parties de la nature, propre à l’esprit de la Renaissance.

Quelles sont les raisons qui ont motivé la restauration ?

Nous avions constaté ces dernières années que les tableaux présentaient un aspect jauni et un vernis plus opaque car blanchi, ce qu’on appelle un chanci de vernis. Cela nous a décidé à lancer leur restauration, afin de retrouver une gamme chromatique plus proche de celle voulue par l’artiste. 

Quel type d’intervention aviez-vous envisagé ?

Le cahier des charges initial prévoyait un simple allègement de vernis. Rapidement, s’est posée la question de la restauration de la guirlande de fleurs peinte autour des têtes. On savait que ces festons étaient des ajouts postérieurs à Arcimboldo qui a toujours conçu ses figures sur des fonds noirs unis. Ils avaient sans doute été peints au moment de la modification du format des toiles originales, coupées puis ré-agrandies chacune sur deux de leurs côtés, un vertical et un horizontal, une première fois au XVIIIe siècle et une seconde vers la fin du XIXe siècle ou début du XXe siècle. Ces découpes et ajouts successifs de bandes de toile ont d’ailleurs créé des fragilités d’adhérence, provoquant des soulèvements sur les bords.

Au cours de l’allègement des vernis, l'analyse chimique des pigments faite au laboratoire du Centre de Recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) a révélé que ces guirlandes étaient moins anciennes que ce l'on croyait et dataient au mieux du XVIIIe siècle, voire du XIXe siècle. L'imagerie scientifique (radiographie et réflectographie infrarouge) a démontré que les fleurs recouvraient sur environ 4 centimètres la peinture originale sur les quatre bords, cachant non seulement le fond noir uni si important pour la respiration des figures, mais aussi des parties significatives des têtes composées, tel le blason avec les armes de Meissen sur l'Hiver, symbole de l'Électeur Auguste de Saxe, le premier destinataire des œuvres. On a également compris que les modifications de format, opérées depuis le XVIIIe siècle, avaient rompu le parfait alignement des têtes et de leur regard. 

Ces éléments se sont-ils révélés déterminants dans le choix finalement opéré ?

Avant la restauration et les examens, on n’avait pas décidé de retirer ou de masquer ces bordures qui pouvaient sembler appartenir à l’histoire des œuvres. C’est seulement en découvrant que ces guirlandes de fleurs étaient moins anciennes que ce qui avait été dit et qu’elles cachaient de l’original d’Arcimboldo que l’opportunité d’une restauration plus fondamentale est apparue.

On avait une idée précise de l’état original des Saisons sous les repeints grâce à des copies extrêmement fidèles réalisées au XVIIème siècle. On pouvait donc se projeter sur un résultat.

Comment avez-vous procédé ?

Pour la partie de la composition originale qui était masquée par la bordure de fleurs, on a simplement éliminé le motif ajouté pour retrouver la couche picturale sous-jacente qui était bien conservée. C'est ainsi que plusieurs fleurs couronnant la tête du Printemps ont été redécouvertes sous les repeints ou encore l’ensemble des armoiries de Meissen sur le manteau de l’Hiver. Pour les éléments qui avaient disparu lors des agrandissements, Roberto Merlo les a restitués en se basant sur les copies. La suppression de la guirlande a rendu aux figures leur lisibilité, mais aussi une respiration et une monumentalité saisissante.

La seule altération irrémédiable concerne le pigment bleu de smalt qui a viré au brun au cour du temps. Arcimboldo l'a utilisé dans le Printemps pour certaines parties de la chevelure et l'iris germanica sortant de la poitrine. Hormis cela, la restauration a révélé un très bon état de conservation de la matière picturale, avec une palette claire et brillante à nouveau visible.

Le résultat final est impressionnant !

Cette restauration a permis de redonner aux têtes composées leur format d’origine avec une monumentalité et un relief sculptural impressionnants. Les figures respirent sur le fond noir. L’intervention a restitué la subtilité de la palette et des expressions bien plus ambiguës. Le dialogue imaginé par Arcimboldo entre les quatre saisons est bien plus animé.

La restauration a été réalisée par Roberto Merlo, de l’atelier Arcanes, de mai 2023 à fin janvier 2024. Elle a été menée au Centre de Recherche et de restauration des musées de France, avec l’assistance technique et scientifique de Matthieu Gilles et Clarisse Delmas, et sous la direction de Sébastien Allard, directeur du Département des Peintures. 

 © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Adrien Didierjean
 © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Adrien Didierjean

 Partager cet article

Vous aimerez aussi

Carte blanche à Klaus Mäkelä et à l'orchestre de Paris

Première carte blanche donnée à un chef d’orchestre par le musée du Louvre, celle-ci a représenté – pour Klaus Mäkelä et l'Orchestre de Paris dont il est le directeur musical – une traversée des espaces du musée où différents programmes ont eu lieu. Au cœur des collections, deux concerts ont confronté des œuvres emblématiques du Louvre avec des pièces musicales peu jouées en France. 

L'Ecologie au musée. Un après-midi au Louvre de Grégory Quenet

Grégory Quenet, pionnier de l'histoire environnementale en France, publie chez Macula, en coédition avec le Musée du Louvre, un ouvrage qui trace les contours d'une écologie des musées.

Partenariat Musée du Louvre / Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts

"Je ne suis pas toujours là où je crois être" : à l'écoute des cartographies du Louvre

Depuis l’année dernière, un dialogue s’est renoué entre le Louvre et plusieurs générations d’artistes. Dans le cadre d’un récent partenariat avec l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, le musée accueille aujourd’hui une autre restitution de ces conversations.
Pendant un mois, il diffusera une œuvre sonore réalisée par les étudiants de l’atelier d’Angelica Mesiti et Marion Naccache. De leurs traversées du pont du Carrousel, qui relie l’école au musée, est née l’invention collective d’une bande-son divisée en quinze propositions. À travers l’écoute – à plus d’un titre – de la jeune création, les visiteurs traceront, avec elle, de nouvelles cartographies du Louvre.