Depuis près d’un an, le département des Arts graphiques a entamé l’étude et des tests préalables à la restauration de cartons de Jacob Jordaens. Regard croisé sur cet ambitieux projet, en compagnie d’Olivia Savatier, conservatrice au département des Arts graphiques en charge des Écoles du Nord, et Laurence Caylux, responsable de l’atelier de restauration d’arts graphiques.
Avant de nous pencher sur les œuvres, peut-être est-il utile de rappeler qui était Jacob Jordaens ?
O.S. - Jordaens est l’un des plus célèbres peintres flamands du XVIIe siècle, avec Rubens et Van Dyck. Mais contrairement à ces deux artistes, qui ont mené une carrière internationale, Jordaens est resté toute sa vie à Anvers, sa ville natale. Il y a d’abord travaillé comme assistant dans l’atelier de Rubens, son mentor, avant de diriger lui-même un vaste atelier. De nos jours, il reste surtout connu pour ses scènes de genre truculentes, mais il était également très apprécié pour son approche novatrice des scènes religieuses et mythologiques.
Jordaens s’est notamment illustré dans l’art de la tapisserie. Le Louvre a la chance de posséder quatre “cartons’’ de l’artiste. Que désigne ce terme ?
O.S. - Un carton est tout simplement un dessin préparatoire à l’échelle 1 d’une œuvre. Le terme peut s’appliquer à la tapisserie comme au vitrail, ou encore à la fresque. Notons que si l’on parle couramment de carton, les artistes utilisaient en réalité un support papier. Et comme aucune feuille de papier ne correspondait au format d’une tapisserie ou d’une fresque, le carton désigne généralement un assemblage de feuilles. C’est le cas de l’œuvre qui nous occupe, qui regroupe 70 feuilles de papiers unies entre elles par des joints.
En quoi les cartons que le Louvre possède sont-ils exceptionnels ?
O.S – Au sens premier du terme ! Le musée a la chance d’héberger depuis 1838 les derniers grands cartons complets sortis des ateliers du maître. Ce qui, au passage, en dit long sur l’immense perte que son œuvre a subie, car on sait que Jordaens était un des plus prolifiques dessinateurs de modèles pour la tapisserie. D’une certaine manière, les quatre cartons qui sont conservés au Louvre sont de précieux rescapés.
Que représentent-ils ?
O.S. - Deux d’entre eux sont des œuvres préparatoires pour une même tenture, qui raconte un épisode de l’histoire de Charlemagne. Il s’agit là d’un sujet de tapisserie tout à fait nouveau, qui, en l’absence de modèles préexistants sur le sujet, a exigé un long travail de conception à l’artiste. Pour Jordaens, cette nouvelle composition a constitué un vrai moment de réflexion et d’innovation. Les deux autres cartons que possède le Louvre préparent quant à eux une autre tenture, celle dite “des Proverbes", qui illustrent des dictons populaires : « L’œil du maître engraisse le cheval » et « L’usure est un grand mal, un vrai fléau dans la ville ».
L’un de ces cartons fait aujourd’hui l’objet d’une campagne de restauration. Qu’est-ce qui a motivé cette entreprise ?
O.S. - Le lancement de ce chantier a naturellement été guidé par le besoin de préserver l’œuvre. Elle souffrait en effet de tels problèmes structurels qu’il n’était plus possible de la déplacer, sans risquer des pertes de matière importante. Or, ne pas pouvoir transporter une œuvre sur papier, c’est s’interdire de l’exposer.
L.C. - Le carton que nous sommes en train de restaurer a été marouflé au XIXe siècle. Durant cette opération, le papier s’est humidifié et détendu, et les restaurateurs d’alors ne sont pas parvenus à gérer cette dilatation du papier. Des cloques se sont formées au moment du collage, ainsi que des plis, qu’ils ont découpés et recollés de manière grossière. Par conséquent, la continuité du dessin a été perdue.
O.S - J’ajoute que la colle de marouflage a imprégné le papier et l’a largement desséché. Il est donc devenu très cassant et des déchirures, des soulèvements et des craquelures sont apparus dans la couche picturale. Pour conserver l’œuvre, programmer une restauration fondamentale était donc inévitable.
Qu’entend-on par “restauration fondamentale’’ ?
L.C. - Ce type de restauration consiste à démonter intégralement une œuvre pour pouvoir éliminer par le recto, mais aussi par le verso, tous les outrages du temps. Cela peut concerner des papiers de doublage, des colles anciennes acides qui dégradent peu à peu le papier, des toiles et des châssis qui n’assurent plus leur rôle de support.
En quoi la restauration d’une œuvre graphique diffère-t-elle de celle d’une peinture ?
L.C. - Elle s’en éloigne de par les matériaux traités et les techniques employées. Le papier souffre souvent de déchirure, il nécessite donc un travail de consolidation du support important. Par ailleurs, les restaurateurs d’arts graphiques sont malheureusement plus limités dans leurs interventions sur le traitement de la surface que leurs homologues en peinture. Ces derniers gardent en effet la possibilité d’intervenir au-dessus du vernis qui recouvre la peinture. En arts graphiques, c’est impossible : on ne peut pas apporter beaucoup de matière car le papier risque de l’absorber, ce qui peut modifier la composition de l’œuvre et la lisibilité de l’original. C’est pourquoi le restaurateur d’arts graphiques ne peut retoucher que sur les comblements de lacunes.
Le chantier de restauration a commencé en juin 2023 et doit s’étaler sur deux à trois ans. Quels en sont les principaux objectifs ?
O.S. - Le chantier doit remplir deux grands objectifs. D’une part, il doit permettre de résorber les problèmes structurels que nous avons évoqués, et faire en sorte que les œuvres retrouvent une planéité. D’autre part, les œuvres doivent retrouver une bonne lisibilité.
Cela semble plus facile à dire qu’à faire...
L.C. - L’un des aspects techniques les plus délicats est lié à la taille des œuvres à traiter. On parle tout de même de pièces qui font cinq mètres de large sur quatre de haut. Un tel format exige une certaine préparation, et beaucoup d’organisation pour coordonner le travail des restaurateurs, des conservateurs, et de la régie. La dimension des œuvres nous contraint même à travailler sur deux sites de restauration : un atelier à Liévin, où le carton est démonté puis remonté, et ici, à Paris, où nous opérons sur chaque lé, l’un après l’autre. L’un des moments clés sera celui de la réunification des dix lés qui composent l’œuvre. Pour accéder au centre du carton il faudra alors les placer au sol, créer des ponts, et mobiliser beaucoup de gens... Tout cela constitue un gros défi, mais nous sommes sûrs du résultat que nous pouvons atteindre.
O.S. - Nous avons déjà pu observer le résultat sur le premier lé du carton qui est en cours de restauration. Et je tiens à dire qu’il est particulièrement probant : le papier s’est éclairci, a retrouvé beaucoup de souplesse, et nous avons une bien meilleure lecture du dessin.
Il faut dire que le Louvre jouit d’une certaine expertise en matière de restauration d’œuvres graphiques...
L.C. - De 1996 à 2010, plusieurs grands cartons de l’artiste italien du XVIe siècle Guilio Romano ont été restaurés. Ce fut un travail de longue haleine, mais nous avons obtenu de très bons résultats en termes de restauration fondamentale. L’expertise des restaurateurs du Louvre qui sont intervenus sur cette opération est d’ailleurs reconnue au niveau international.
Pour l’heure, un seul carton de Jordaens est en cours de restauration. Les autres vont-ils profiter du même traitement ?
O.S. - Nous sommes très ambitieux, et notre objectif est bien de restaurer l’intégralité des cartons du maître que conserve Louvre.
Une fois restaurés, les cartons pourront-ils être exposés ?
O.S. - Dans un premier temps, il convient de mettre en valeur le chantier de restauration lui-même, par le biais d’une conférence ou d’une publication. Un film documentant toutes les étapes de la restauration est d’ores et déjà en cours de tournage. Mais si l’on s’autorise à voir les choses en grand, on pourrait en effet imaginer une belle exposition consacrée à Jordaens et la tapisserie à l’issue du chantier. Elle pourrait présenter les quatre cartons restaurés, ainsi que toutes les étapes de leur préparation, de la première esquisse préliminaire à la pierre noire jusqu'aux modelli à l'aquarelle ou à l'huile sur panneau ou sur toile. Ce projet n’existe que dans notre esprit pour le moment, mais ce serait un très bel aboutissement.
Après dix ans d'absence, la salle du parvis du temple retrouve ses célèbres babouins de granit. Un retour que nous décrit Hélène Guichard, conservatrice générale, adjointe au directeur du département des Antiquités égyptiennes.
Jeux de sociétés, livres, objets insolites… Découvrez une gamme riche et variée pour tous les âges. Le musée du Louvre propose chaque année, en collaboration avec ses partenaires, une large gamme d'objets et de produits. Beaux livres, bande dessinée, jeux, thé ou encore bijoux, la sélection de Noël du musée du Louvre permet de gâter petits et grands ! Sur la boutique en ligne et à la librairie-boutique du musée du Louvre.
Depuis trois ans, dans le cadre d’une collaboration entre le Festival d’Automne et le Louvre, le musée invite un chorégraphe à concevoir un projet au sein de ses espaces. Cette année, François Chaignaud y présente Petites joueuses dans les vestiges de la partie médiévale. Ce spectacle, conçu comme une déambulation, introduit l’exposition « Figures du fou. Du Moyen Âge aux Romantiques » que les spectateurs peuvent visiter ensuite, passant de la scène à la salle.