Hommage à Pierre Soulages

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Le 31 octobre 2022

LE LOUVRE, MAISON DES ARTISTES, REND HOMMAGE A PIERRE SOULAGES

MESSAGE DE LAURENCE DES CARS Présidente-Directrice du Musée du Louvre

Entièrement vêtue de noir, une grande figure, élégante et seule, traverse lentement le Salon Carré du Louvre. Dans ce lieu qui fut jadis, au temps des académies, le berceau de la création contemporaine, deux artistes se rencontrent par-delà les siècles. Mieux, ils se parlent. En 2004, à l’occasion d’un documentaire dont l’extrait est encore visible sur le site de l’INA, Pierre Soulages choisit de s’arrêter longuement devant la Maestà de Cenni di Pepo, dit Cimabue, pour la commenter. Le moment est particulièrement émouvant. En peintre contemporain du noir et de la lumière, il ne regarde pas ce tableau pour ce qu’il peut nous dire du XIIIe siècle ; il le contemple au-delà, pour ses « qualités plastiques, le pouvoir d’émotion qu’il a gardé sur nous, tel qu’il nous apparaît maintenant, avec notre mentalité ».

Sous son regard, Cimabue redevient ainsi notre contemporain, un artiste de la couleur et de la lumière, qu’attirent à la fois un sens inouï de la frontalité et une rythmique des formes très précise. Dans ce face-à-face extraordinaire, on finit par ne plus bien savoir qui de Soulages ou Cimabue introduit le dialogue d’éternité. Ce beau moment en dit beaucoup du regard porté par le père de « l’outre-noir », figure majeure de la peinture non figurative, sur l’art ancien. Il souligne également avec une bouleversante acuité la nature même du Louvre : lieu unique où le passé dispute au présent sa contemporanéité, où le premier, éclairé, discuté, questionné, donne davantage de profondeur au second.

 

Rétrospective « Soulages au Louvre » dans le Salon Carré, en 2019-2020. Au fond, trois polyptiques réalisés pour l’exposition.

Quinze ans plus tard, dans ce même Salon Carré, Soulages remplaçait Cimabue le temps d’une exposition exceptionnelle. En 2019-2020, le musée avait choisi d’y célébrer le centième anniversaire du peintre avec une grande rétrospective. L’accrochage présentait à travers un choix d’œuvres resserré les huit décennies au cours desquelles Soulages avait développé ses recherches. Il montrait également trois grandes peintures, aussi frontales et rythmées qu’une Vierge en majesté de Cimabue, achevées pour cette exposition quelques mois seulement avant qu’elle ne débute. Ces magnifiques polyptiques outre-noirs portaient le sublime témoignage de la vitalité créative de cet artiste qui avait trouvé, comme beaucoup de maîtres avant et avec lui, sa demeure au musée du Louvre.

En 1969, Pierre Soulages avait choisi le rouge profond qui orne encore les murs des grandes salles de peinture française du XIXe siècle. En 1990, il avait montré deux peintures dos-à-dos dans l’exposition Polyptiques de Michel Laclotte, nouant déjà un dialogue fécond avec les images du Moyen âge. En 2009, il avait, pour la première fois, présenté une grande toile dans le Salon Carré. Avec lui, le Louvre pleure un compagnon de route fidèle, une âme aux questionnements féconds qui a toujours su tisser entre les artistes d’hier et d’aujourd’hui le fil continu – presque mystique – d’une histoire partagée.

Pierre Soulages participe à l’accrochage de l’exposition Polyptiques. Le tableau multiple du Moyen âge au XXe siècle dans le hall Napoléon en 1990

Ce 2 novembre, Pierre Soulages revient au Louvre, comme en sa maison, écrire une nouvelle page de cette histoire. Ces hommages, ceux de la Nation tout entière, sont rares. En 1963, au pied de la Colonnade de Perrault, André Malraux prononçait pour Georges Braque une puissante oraison funèbre, au nom d’une France que le peintre exprimait, disait-il, « avec une force de symbole si grande qu’il était aussi légitimement au Louvre que l’ange de Reims dans sa cathédrale ». En choisissant le Louvre, Malraux voulait alors « assurer la revanche des pauvres obsèques de Modigliani, du sinistre enterrement de Van Gogh ». Deux ans plus tard, en 1965, dans une cour Carrée désormais transfigurée en naos de l’académie éternelle des artistes français, il célébrait cette fois le génie du défunt Le Corbusier.

Puis en 1976, c’est en ces lieux mêmes que la République choisit de rendre hommage à l’écrivain, au Compagnon de la Libération, au ministre d’État. Pour l’occasion, le petit bronze d’un chat égyptien divinisé, sorti des collections du musée, veillait une dernière fois sur le cercueil de celui qui refusait toute conception « aristocratique » du savoir et fit de son existence un acte de foi dans la démocratie culturelle.

A cette auguste lignée, à ces géants dont l’écho résonne encore aux quatre coins de la cour Carrée, le nom de Soulages vient aujourd’hui s’ajouter. Il sera ensuite temps pour lui de reprendre, là où elle s’était arrêtée, sa conversation avec Cimabue. 

L’hommage national à André Malraux, dans la cour Carrée du Louvre, le 23 novembre 1976

Revoir la présentation de l'exposition "Soulages au Louvre" (11 décembre 2019 – 9 mars 2020)", par Alfred Pacquement, directeur honoraire du Musée national d’art moderne, commissaire de l’exposition, à l'Auditorium Michel Laclotte, le 10 janvier 2020.

Crédit photo : Pierre Soulages. Portrait de l’artiste, 2 octobre 2017 © Collection Raphaël Gaillarde, dist. RMN-Grand Palais / Raphaël Gaillarde © Adagp, Paris, 2022 pour Pierre Soulages © RMN-Grand Palais - Gestion droit d'auteur pour Raphaël Gaillarde

© Adagp, Paris, 2022 pour les œuvres de Pierre Soulages
Photo © Musée du Louvre / Antoine Mongodin

© Adagp, Paris, 2022 pour l’œuvre de Pierre Soulages
Photo © Musée du Louvre / Michel Chassat

© Keystone Press / Alamy Banque D'Images

 

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