La Direction Générale des Antiquités du Liban et le département des Antiquités orientales du musée du Louvre collaborent sur le site de Byblos à la fouille d’une nécropole de l’âge du Bronze. Rencontre avec Tania Zaven, directrice du site de Byblos et du projet Byblos Hypogeum et Julien Chanteau, archéologue au département des Antiquités orientales du musée du Louvre et directeur des fouilles.
Comment la collaboration entre la Direction Générale des Antiquités du Liban et le musée du Louvre s’inscrit-elle dans l’histoire de la recherche sur ce site, depuis la Mission de Phénicie dirigée par Ernest Renan en 1860 ?
Tania Zaven : Ernest Renan réalise les premiers sondages sur le promontoire. Soixante ans plus tard, Pierre Montet conduit quatre campagnes au cours desquelles sont mis au jour la nécropole royale ainsi que le temple de la grande déesse de Byblos, la Balaat Gubal. A partir de 1926, et pendant près de cinquante ans, Maurice Dunand poursuit les recherches, interrompues par la guerre en 1975. Elles se concentrent essentiellement sur l’acropole. Néanmoins, la Direction Générale des Antiquités n’a jamais cessé de poursuivre les recherches archéologiques à Byblos et dans ses environs. A la fin des années 1990, le programme Byblos et la mer, aujourd’hui dirigé par Martine Francis-Allouche et Nicolas Grimal, est mis en place, avec notamment pour objectif de retrouver l’emplacement du port antique. C’est dans le cadre de ce programme que la nécropole a été mise au jour. Dès lors, la Direction Générale des Antiquités du Liban a décidé de collaborer avec le musée du Louvre, qui était déjà engagé sur un projet de musée sur le site de Byblos, pour mener à bien un nouveau programme de recherche intitulé Byblos Hypogeum. Les découvertes issues de ces campagnes de fouilles ont permis de redynamiser et transformer ce projet de musée pour créer un espace culturel comprenant plusieurs salles d’exposition. La première exposition qui y aura lieu, en collaboration avec le musée du Louvre, sera consacrée à une rétrospective de l’histoire des fouilles de Byblos et à une présentation des découvertes issues de nos dernières campagnes. Elle sera organisée grâce un mécénat de la CMA-CGM et en partenariat avec l’Institut Français du Proche-Orient.
La zone explorée lors des dernières campagnes n’avait jamais été fouillée auparavant ? Pourquoi ?
Julien Chanteau : En fait, la zone avait bien été fouillée par Maurice Dunand dans les années 1930. Il y avait découvert plusieurs maisons de la période hellénistique comprenant des caves creusées dans la roche. Ces caves avaient été interprétées à raison comme des tombes de l’âge du Bronze moyen (vers 2000-1600 avant notre ère), pillées dès l’Antiquité et transformées en celliers. Maurice Dunand avait également découvert dans le secteur le rempart de l’acropole et un passage qu’il avait interprété comme une poterne, c’est-à-dire une petite porte ayant une fonction militaire. J’avais émis l’hypothèse que cette poterne était en réalité une authentique porte urbaine fortifiée, l’une des plus importantes de l’acropole à l’âge du Bronze. Dans le cadre du programme Byblos et la mer et sous la supervision de la Direction Générale des Antiquités, nous avons pu vérifier cette hypothèse en dégageant la porte, qui était effectivement protégée par deux tours et un bastion. C’est au cours de cette étude que nous avons trouvé la nécropole dont les tombes étaient accessibles par des puits creusés depuis la surface de l’esplanade menant à la porte.
A quoi ressemble cette nécropole et qu’avez-vous trouvé dans les tombes ?
J.C. : A ce jour, les fouilles ont permis de mettre au jour huit hypogées, de tailles variées et qui possèdent pour la plupart plusieurs chambres funéraires. La nécropole présente également une caractéristique unique au Proche-Orient et en Egypte pour la période : elle est structurée en étages souterrains, les tombes creusées dans la roche étant superposées et leurs chambres funéraires parfois enchevêtrées avec une grande sophistication. Concernant les défunts, les ossements retrouvés sont ceux de femmes, d’hommes et d’enfants qui appartenaient à l’élite de la cité. Les recherches sont toujours en cours pour tenter de les identifier plus précisément.
T.Z. : Concernant les objets, dans l’Hypogée V, qui est une tombe de 65 m2 environ composée de 6 chambres funéraires, nous avons trouvé des centaines de poteries, mais aussi des armes, des objets de toilette, des éléments de parure et des amulettes en forme de scarabées en améthyste et en stéatite glaçurée, ces dernières étant couvertes d’inscriptions en hiéroglyphes. L’une de ces inscriptions donne le nom de couronnement du pharaon Amenemhat III de la 12e dynastie. Dans ce même hypogée a été découvert un pectoral en or serti de pierres fines décoré d’un cartouche au nom de Sésostris II, un autre pharaon de la 12e dynastie.
Cruche peinte à anse torsadée / Scarabée en stétite glaçurée portant le nom de couronnement du pharaon Amenhemhat III inscrit dans un cartouche entouré de symboles apotropïques (yeux oudjat, croix ankh) et royaux (lions, abeilles)
Quelle est la relation entre Byblos et l’Egypte ?
T.Z. : C’est une relation très étroite basée sur le commerce du bois, principalement de cèdre. En effet, Byblos exportait massivement ce bois pour la fabrication des barques sacrées, des navires, des toitures des temples et palais, des meubles de luxe et des sarcophages. L’huile de cèdre était également utilisée dans le processus de la momification. Cette relation exceptionnelle est illustrée par la déesse principale de Byblos, la Baalat Gubal, qui était identifiée à la déesse égyptienne Hathor (Isis à la période romaine).
De quand datent les tombes qui composent cette nécropole ?
J.C. : L’ensemble du matériel mis au jour dans les tombes date de la période du Bronze moyen I, vers 2000-1750 avant J.-C..
Que nous apprennent ces découvertes sur Byblos et sur les rites funéraires à l’âge du Bronze ?
J.C. : Les fouilles de ces tombes éclairent de manière inédite les rites funéraires de l’âge du Bronze. Les inhumations s’accompagnaient de processions et de cérémonies religieuses au cours desquelles des banquets étaient organisés en hommage aux défunts. Une partie importante de la vaisselle mise au jour dans les tombes provient de ces banquets. On retrouve aussi les offrandes alimentaires que les vivants déposaient auprès des morts pour les accompagner dans l’au-delà. L’inhumation n’était d'ailleurs qu'une étape d'un rituel funéraire complexe qui s’étendait sur une longue période. Ainsi, plusieurs ossuaires mis au jour témoignent d’une pratique particulière : après un premier dépôt dans la tombe, les ossements des défunts étaient ultérieurement rassemblés et soigneusement placés dans des coffres en bois de cèdre.
Vestibule de l’Hypogée V
T.Z. : Les nouvelles techniques d’analyse nous donnent également accès à de nombreuses informations sur la population de Byblos à cette période. Les études anthropo-biologiques et les analyses ADN nous renseignent sur l’origine des défunts, sur leurs modes de vie ou sur leurs relations de parenté. Les analyses de matières organiques, réalisées en partenariat avec le C2RMF, ont pour objectif de déterminer la nature des offrandes qui étaient déposées dans les tombes. Nous mettons également à profit les nouvelles technologies d’acquisition (photogrammétrie, laserscan) pour documenter toutes les étapes de la fouille.
Les artefacts retrouvés ont-ils vocation à être exposés ?
T.Z. : 113 objets issus des tombes ont déjà été présentés au musée du Louvre en 2022, lors de l’exposition « Byblos et le Louvre. Recherches archéologiques au Liban (1860 - 2022) », puis à Leyde, au Musée National des Antiquités, avant de revenir au Liban. Ces objets, ainsi que d’autres nouvelles découvertes, seront prochainement présentés dans le cadre de la première exposition qui se tiendra dans le futur espace culturel aménagé dans la maison traditionnelle du 19e siècle située sur le site archéologique de Byblos. Ensuite, les plus remarquables artefacts seront exposés au Musée National de Beyrouth.
Une anecdote, des difficultés particulières rencontrées sur le chantier, à nous raconter ?
T.Z. : Les fouilles dans des espaces souterrains sont très différentes des fouilles en surface. Elles nécessitent d’importants travaux de consolidation et d’étaiement pour assurer la sécurité des fouilleurs et la protection des artefacts. Par ailleurs, certaines chambres funéraires sont particulièrement exigües ce qui complique, et rend parfois acrobatique, le travail des fouilleurs.
J.C. : Nos recherches doivent également prendre en compte un élément perturbateur : la présence de rats qui ont déplacé des objets de petite taille à l’intérieur des tombes et ont utilisé certaines poteries, en particulier les jarres, pour y faire leurs nids.
Archéologues fouillant l’Hypogée V
De nouvelles campagnes sont-elles prévues ? Quel en serait le programme ?
T.Z. : Une nouvelle campagne de fouilles est prévue prochainement pour continuer d’explorer la nécropole et effectuer des travaux de consolidation. La publication des résultats de nos dernières campagnes est également attendue dans les prochains mois dans un Hors-Série du Bulletin d’Archéologie et d’Architecture au Liban (BAAL), qui sera publié conjointement par la Direction Générale des Antiquités et le musée du Louvre.
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