Les appartements d'Anne d'Autriche
Vie des collectionsRestauration
Le 3 juin 2024
Après vingt mois de restauration, les appartements d’Anne d’Autriche rouvrent leurs portes à l’occasion de l’exposition consacrée à la collection Torlonia. Visite guidée de l’une des galeries les plus célèbres du Louvre en compagnie de Cécile Giroire, directrice du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, et Arnaud Amelot, directeur de l’architecture, de la maintenance et des jardins.
Quelle place les appartements d’Anne d’Autriche occupent-ils au sein du Louvre ?
CG – Nous sommes au coeur du palais royal du XVIIe siècle, dans les appartements d’été de la mère de Louis XIV. Un chef-d’oeuvre du classicisme que l’on doit à l’architecte Louis Le Vau. La réalisation des fresques et des décors a été confiée au peintre italien Francesco Romanelli, secondé par le sculpteur Michel Anguier et le stucateur Pietro Sasso.
AA – Ces appartements illustrent parfaitement la distribution classique en enfilade des appartements princiers de l’époque, avec un système de progression en majesté où la chambre est en quelque sorte le point culminant du parcours… Dans chacune de ces pièces, les décors sont d’une grande richesse, même si ceux des parois verticales ont disparu.
Une conséquence de la transformation du Louvre en musée...
CG – Ces pièces ont en effet été investies assez naturellement par le Musée central des Arts à sa création en 1793. Elles ont ainsi été les premières à accueillir la collection d’Antiques du roi, devenue celle de la nation, dès 1800. On doit à l’architecte Raymond d’avoir fait évoluer les salles en enfilade pour qu’elles puissent accueillir ces sculptures.
Une transformation parmi d’autres, que le visiteur ne soupçonnerait pas...
AA – Ces appartements sont à l’image du Louvre : ils composent un ensemble monumental harmonieux, mais cet ensemble s’est construit sur des strates historiques différentes.
CG – C’est ce qui rend ces salles remarquables. On a l’impression d’être face à un ensemble très homogène, alors que trois époques distinctes s’y superposent : le décor du plafond date du XVIIe siècle, le sol en marbre polychrome du Second Empire, et les murs en stuc rouge remontent aux années 1930.
La restauration des appartements d’Anne d’Autriche a commencé en 2022. Qu’est-ce qui a motivé cette décision ?
CG – Outre la volonté d’y redéployer les collections romaines, c’est bien sûr l’état de conservation des décors qui a guidé ce choix. Avec le temps, et en dépit d’une intervention dans les années 1980, ils s’étaient dégradés et souffraient d’un important encrassement.
AA – J’ajoute que le parti de restauration a fait l’objet de nombreuses études en amont, sous la direction de l’architecte en chef des Monuments historiques. Un comité scientifique a été mis en place pour suivre les travaux de restauration et veiller à leur homogénéité.
On imagine qu’un tel niveau d’exigence nécessite du temps…
CG – Le chantier s’est déroulé en deux phases. La restauration des plafonds, qui a duré 18 mois, a été la première. Nous avons ensuite procédé à celle des murs et des sols. Les travaux se sont échelonnés de l’automne 2022 au printemps 2024. Trois groupements, une soixantaine de personnes issues de différents corps de métiers (restaurateurs de peinture, stucateurs, doreurs…) ont été mobilisés pour les mener à bien. C’était vraiment une entreprise de grande ampleur.
AA – D’autant plus qu’il a fallu moderniser toute l’armature technique des salles. Je pense notamment aux réseaux électriques, à l’éclairage de mise en valeur des décors et des oeuvres, aux stores, au traitement climatique, à la sûreté… Il n’est jamais facile d’intégrer des réseaux techniques dans de tels décors monumentaux. Cela demande beaucoup d’ingéniosité pour que tout reste discret, quasiment invisible !
Quels ont été les principaux défis auxquels les restaurateurs ont été confrontés ?
CG – Le niveau d’empoussièrement et d’encrassement des décors était très important, qui affectait leur lisibilité.
AA – Néanmoins les fresques du XVIIe siècle étaient en bon état.
CG – La restauration a permis de retrouver l’éclat des couleurs d’origine, particulièrement avec les bleus obtenus par le précieux pigment de lapis-lazuli.
Les murs et les sols ont également fait l’objet d’une restauration. De quelle nature ?
AA – Dans les années 1930, l’architecte du palais Albert Ferrand avait utilisé du stuc marbre pour habiller les murs. C’est un matériau très intéressant, à base de pigments naturels et dont le traitement de surface très poli offre des reflets similaires au vrai marbre. Tous les murs des appartements en étaient couverts, à l’exception de ceux de la salle 409 qui avaient été étrangement recouverts d’un enduit fausse-pierre. Cette discontinuité était fâcheuse, c’est pourquoi il a été décidé d’y remédier. Un parement en stuc marbre identique a donc été réalisé pour assurer la continuité du traitement des murs de ces salles en enfilade.
Une entreprise délicate…
AA – Il s’agit d’un savoir-faire exceptionnel qui s’est quelque peu perdu. En France, un seul atelier en maîtrise encore la technique. Finalement, au terme d’un appel d’offres, c’est une entreprise italienne qui a réalisé ce stuc-marbre, d’après un procédé de fabrication dont elle conserve jalousement le secret.
CG – Voir travailler ces artisans d’exception était très intéressant, car les procédés qu’ils utilisent sont vraiment les mêmes que ceux mis en œuvre ici, il y a presque cent ans. Sincèrement, c’est à s’y méprendre : on ne voit pas du tout la différence. C’était vraiment l’une des belles surprises de ce chantier, même s’il y en a eu d’autres, parfois plus inattendues.
A quoi pensez-vous ?
CG –Nous savions qu’un relief antique en marbre provenant du décor du forum de Trajan à Rome était intégré au décor de l'une des salles . Malheureusement, de manière assez inexplicable et à une date indéterminée, il avait été recouvert d’un enduit couleur terre cuite. Cet épais badigeon ocre a été retiré pour retrouver le marbre qui s’intègre parfaitement dans le décor.
Cette restauration est-elle à la hauteur de vos espérances ?
CG/ AA – Nous sommes absolument ravis. Les salles ont retrouvé leur éclat et les décors sont magnifiquement mis en valeur.
Un résultat que le public pourra bientôt apprécier…
CG – Du 26 juin au 11 novembre prochain*, les appartements d’Anne d’Autriche accueilleront en effet les chefs-d’oeuvre de la collection Torlonia, la plus grande collection privée de sculptures antiques, qui dialoguera avec celle du Louvre.
La restauration des plafonds des appartements d’été d'Anne d’Autriche a bénéficié du soutien
- des American Friends of the Louvre
- de French Heritage Society, grâce au mécénat d’Iron Mountain