Être mortel - Calypso (1/5)

Être mortel - Calypso
27 Novembre 2023
Conférence de la Chaire du Louvre 1/5
par Barbara Cassin, de l’Académie française
Ulysse est le seul guerrier grec vivant à ne pas connaître encore le jour du retour. Dix ans de guerre devant Troie, sept ans encore dans l’île de la nymphe amoureuse, Calypso, la Cachée, la Cacheuse. Zeus décrète qu’elle doit le laisser partir. Les dieux immortels, dit-elle, refusent aux déesses de prendre en leur lit le mortel que leur cœur a choisi, ils sont jaloux des hommes. Mais c’est aussi qu’Ulysse préfère sa condition de mortel à l’immortalité que Calypso lui propose : « Déesse maîtresse, pardonne-moi, toute sage qu’elle est, je sais que Pénélope est sans grandeur ni beauté. Car c’est une mortelle ; toi tu ne connais ni la mort ni l’âge. Mais ce que je veux, ce que je désire tous les jours, c’est rentrer à la maison et voir le jour du retour » (V, 215-220). Ulysse choisit le danger, se risque sur un radeau, il choisit d’être un « mortel » : l’odyssée commence. Il verra pourtant, obéissant aux injonctions de Circé la magicienne, ce que sont les morts aux Enfers : des ombres inconsolables de ne plus voir le jour. Le signifiant phôs que l’on traduit par « mortel » conjoint le radical de la lumière et celui de la parole. C’est le monde grec que l’on saisit ainsi.
L'Odyssée au Louvre, un roman graphique : Homère en philosophe
La Chaire du Louvre, par Barbara Cassin, de l’Académie française
27 novembre – 11 décembre 2023
Chaque année, depuis 2009, la « Chaire du Louvre » est l’occasion pour un grand penseur de notre temps de poser un autre regard sur le musée, son histoire et ses collections.
Confié cette année à la philosophe et helléniste Barbara Cassin, de l’Académie française, ce cycle de cinq conférences sera pour elle l’occasion d’une relecture approfondie de l’Odyssée d’Homère pour interroger la manière dont se construit une identité : par le voyage, la conscience de la mortalité, la prise de risque, les noms que l’on se donne ou la langue que l’on parle.
À l’occasion du redéploiement de la galerie Campana, rouverte au public après plusieurs mois de rénovation, Barbara Cassin plongera son regard dans l’une des plus importantes collections de céramiques grecques en Europe pour comprendre comment les artistes se sont saisis de l’Odyssée et ont abordé ces thèmes. En convoquant à chaque fois de nombreuses oeuvres d’autres époques et d’autres civilisations, elle proposera aux auditeurs un parcours de résonance dans l’espace et dans le temps tel que seul le Louvre peut en offrir.
L’Odyssée au Louvre, un roman graphique. Homère en philosophe
« Homère, l’auteur de l’Iliade et l’Odyssée, est un jugement esthétique »
Nietzsche, Homère et la philologie classique
« A l’occasion du redéploiement de la Galerie Campana, je voudrais déchiffrer au sein du Louvre l’Odyssée d’Homère comme un roman graphique, en ajointant des textes et des œuvres, en particulier ces dessins capturés sur les vases. Je souhaite inventer des traversées non pas en historienne d’art mais en visiteuse, pour établir, avec l’appui des conservateurs, des ponts entre les départements et les collections, en amont et en aval de l’Odyssée. J’envisage des conférences instables comme des performances, des parcours de résonance dans l’espace et dans le temps tels que seul le Louvre peut en offrir.
Cette Chaire du Louvre prend pour fil conducteur la façon dont Homère construit l’identité d’Ulysse tout au long du périple. Homère non, mais « Homère », aède aveugle très inexistant devenu le nom même de la poésie, « un Grec rêvant » dit Nietzsche. Homère en philosophe, car Homère lu par une philosophe et comme s’il était lui-même un philosophe, en prélevant des scènes pour leur sens —une toute première « BD » philosophique au sein d’un kosmos païen où l’on distingue les femmes de l’Odyssée (Calypso, Circé, Hélène, Nausicaa, Pénélope, à côté d’Athéna et des Sirènes).
Ulysse ? C’est un mortel, il a un nom, il est ligoté à soi comme l’Être de Parménide, il invente un discours qui gagne, mais pour être Ulysse il doit être reconnu. Le signe de reconnaissance est le lit enraciné qu’il partage avec Pénélope : ce sera le jour du retour. »
Barbara Cassin
Avec la complicité de l'artiste et scénographe Pierre Giner
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