Le spectacle en mouvementL’évolution de la figure de Pierrot au fil des siècles

Qui est ce Pierrot qui tient une place si importante dans de nombreuses œuvre de Watteau ? Ce personnage de valet est une invention qui remonte aux années 1670 de la troupe de la Comédie-Italienne alors établie à Paris. Naïf et balourd, il sert d’abord de faire-valoir à Arlequin, un autre valet vedette du répertoire italien, au caractère tout opposé. Arlequin, enjoué et rusé, gesticule sans cesse, multiplie les sauts et les bonds, tandis que Pierrot reste figé et raide, dans son habit blanc trop large qui contribue au comique du rôle.

La querelle des théâtres

La concurrence acharnée que se livrent les troupes de théâtre dans le Paris du début du XVIIIe siècle tourne en faveur de la Comédie-Française. Entre 1697 et 1716, la Comédie italienne ne peut plus se produire dans la capitale en raison d'une interdiction royale. Pierrot devient alors la vedette d’un nouveau répertoire : celui des compagnies privées qui jouent des pièces burlesques, parfois mimées, sur les tréteaux des grandes foires parisiennes : la foire Saint-Germain et la foire Saint-Laurent. Son personnage devient plus complexe et prend de l’importance : valet rusé, capable de mener à bien des intrigues, il peut aussi tenir des rôles d’amoureux, s'accompagnant à la guitare. Quand survient pendant l'année 1720 l'interdiction du théâtre de Foire, il peut en être considéré comme le porte-étendard.

Quand Gilles remplace Pierrot

Son succès est toutefois éphémère car, à partir des années 1720-1730, il est à nouveau éclipsé par Arlequin sur la scène de la Comédie-Italienne et par Gilles, autre type de valet niais et grossier, dans les théâtres forains. Une confusion se produit alors entre les personnages de Pierrot et de Gilles, ce qui explique pourquoi l’œuvre de Watteau a été nommée le Gilles au XIXe siècle.

Pierrot revu par Deburau

Pierrot revient sur le devant de la scène dans les années 1820, lorsque Jean-Gaspard Deburau (1796-1846), dit « Baptiste », se fait connaître au Théâtre des Funambules dans le genre de la pantomime. Le public s’enthousiasme pour ses spectacles muets reposant sur les mimes et les performances acrobatiques. Deburau modifie considérablement le costume de Pierrot pour l’adapter aux jeux de scène. Il en fait un personnage souple et agile, au caractère beaucoup plus complexe et parfois dramatique, voire tragique, que dans le rôle originel de valet comique.

Pierrot au cinéma

Dans Les Enfants du paradis de Jacques Prévert et Marcel Carné (1945), le personnage de Pierrot / Baptiste est repris par Jean-Louis Barrault, formé au mime auprès d’Étienne Decroux qui avait renouvelé l’art de la pantomime dans les années 1930. Il incarne un personnage sensible et subtil, qui sous son air niais moqué par les spectateurs, se révèle un fin observateur de la foule qui l’entoure, capable de restituer par la pantomime une scène de vol qui vient d’avoir lieu.

Dans les mêmes années commence la carrière de Marcel Marceau dit le « Mime Marceau » (1923-2007). Il crée le personnage de Bip, inspiré à la fois par le Pierrot de Deburau, le Charlot de Charlie Chaplin (1889-1977), le Baptiste des Enfants du paradis interprété par Barrault et naturellement le Pierrot de Watteau. Il apparaît même dans le costume de Pierrot comme s’il sortait du tableau de Watteau dans un court sketch de 1957.