Engagé de longue date dans des projets archéologiques au Soudan, le Louvre poursuit aujourd’hui son soutien au patrimoine local, malgré le conflit qui déchire le pays. Vincent Rondot, directeur du département des Antiquités égyptiennes, éclaire les contours de cette opération.
Qu'est-ce qui a motivé l’engagement du Louvre auprès du patrimoine soudanais ?
Pour le comprendre, il faut remonter au début des années 2000, lorsque Henri Loyrette a souhaité que le musée, dont il était Président-directeur, s'investisse dans l'archéologie soudanaise. A l’époque, j'étais en poste dans le pays pour le compte du ministère des Affaires étrangères. J’ai donc reçu M. Loyrette à plusieurs reprises, ainsi que Christiane Ziegler, la directrice du département des Antiquités égyptiennes. Très vite, ils ont manifesté leur volonté d'engager des fouilles de terrain au Soudan.
Quelle zone avait été choisie ?
Le choix s’est porté sur un site de la région des pyramides de Méroé, au centre du royaume éponyme qui s’est épanoui entre 300 avant et 400 après Jésus-Christ. On savait, à travers les témoignages des géographes de l’Antiquité, confirmés par ceux des voyageurs du xixe siècle, que des villes satellites irriguaient tout le territoire. Les étudier par l’archéologie pourrait fournir des éléments clés pour comprendre et décrire l’organisation politique de ce royaume.
Comment se sont organisées les fouilles ?
Il a d’abord fallu recruter un spécialiste désireux de les mener. Michel Baud, archéologue et égyptologue, en a accepté la direction. J'ai d’ailleurs contribué à son installation de par mes fonctions d’alors. Les fouilles ont commencé en 2007, tout près de la ville de Shendi, sur le site de Mouweis, qui est l’un de ces établissements méroïtiques dont nous pressentions la grande importance.
Quel type de fouilles a été entrepris ?
Il s’agissait d’un projet d’archéologie programmée, pratique qui consiste, campagne après campagne, à mettre au jour les structures invisibles en surface, telles que fondations de bâtiments, zones d’activités artisanales, etc., de façon à restituer le plan et l’organisation urbaine de l’établissement que nous appelons « ville » par commodité. Le travail a duré de nombreuses années, jusqu’à ce qu’il soit tragiquement interrompu par le décès de M. Baud. Perdre quelqu'un de son envergure, grand savant et ami, fut une véritable catastrophe avec pour conséquence l’arrêt brutal des fouilles et la perte de la synthèse des résultats dont il était par définition le seul détenteur. Le projet était en grand péril.
Comment a-t-il pu se poursuivre ?
Guillemette Andreu-Lanoë, qui avait succédé à Christiane Ziegler à la direction du département des Antiquités égyptiennes, a défendu auprès de la direction générale le recrutement d'un archéologue qui puisse prendre la suite de Michel Baud. Il faut insister sur cette chronologie des faits, car elle illustre un point fondamental de notre travail.
Lequel ?
Mener à bien un projet de recherche archéologique impose de réunir des spécialistes de différentes disciplines (archéométrie, épigraphie, céramologie, etc.). Fédérer les compétences et constituer une équipe fidèle dans le temps est l’une des grandes difficultés de la mise en œuvre de tels projets. Plus grande, d’une certaine façon, que les accords diplomatiques qui les rendent possibles.
C’est surprenant, on aurait tendance à penser l’inverse a priori...
L'archéologie, on le sait, constitue en réalité une soft diplomacy’ parfaite, car à de très rares exceptions près, tout le monde est d'accord pour étudier et protéger le patrimoine.
A fortiori dans un pays comme le Soudan, qui ne peut investir des fonds importants dans ce domaine. Pouvoir profiter de contributions – y compris financières – de pays extérieurs est une nécessité.
A condition qu’il y ait des interlocuteurs à qui parler. Or, depuis avril 2023, le Soudan est en proie à un terrible conflit armé*. Comment le Louvre est-il parvenu à y maintenir sa présence ?
Dès que les événements se sont produits, il nous a fallu prendre la mesure de la situation. Nous avons réfléchi à la mise en place d’un système capable de préserver les fouilles sur le site d’El-Hassa.
L’intention est louable, mais comment faire sans être sur la terrain ?
Nous dépendons exclusivement de nos collègues du service du patrimoine du Soudan qui ont pu rester sur place car malheureusement beaucoup ont dû fuir...
Comment parvenez-vous à protéger les sites ?
En continuant, tout simplement, à payer un salaire au gardien du site, ce qui a supposé une certaine agilité de nos structures comptables. Cela nous permet de pérenniser la protection des installations archéologiques. Nous ne sommes pas les seuls à agir ainsi. Le British Museum est également actif au Soudan. Nos collègues anglais nous ont contactés pour joindre nos forces aux leurs, nous avons naturellement accepté.
En quoi consiste votre collaboration ?
Outre la protection des sites, que chacun organise avec son administration, nous nous coordonnons avec le Musée national du Soudan pour organiser une veille sur ses collections. Cette action est devenue d’autant plus capitale qu’à cause de cette guerre, les musées sont désormais inaccessibles et ne sont pas épargnés par les pillages…
Comment cette veille s’organise-t-elle ?
Si par exemple nous voyons passer des œuvres sur Internet – je schématise à dessein – issues du fonds du musée, l’alerte pourra être donnée grâce à cette veille. Le Louvre ne peut cependant pas contacter de sa propre initiative l’institution luttant contre le trafic illicite : ce sont les autorités du pays lésé qui doivent le faire elles-mêmes. C’est pourquoi il est essentiel que la veille soit confiée à un représentant officiel de l’administration soudanaise, habilité à formuler des plaintes auprès des autorités compétentes. L’accueil au Louvre de Shadia Abdrabo, conservatrice au musée national du Soudan, s’est d’ailleurs inscrit dans cette logique.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur sa venue ?
Nous l’avons accueillie en urgence durant un trimestre il y a quelques mois. C’est une collègue de travail de valeur, expérimentée, bien connue du British Museum comme du Louvre. Nous souhaitions qu’elle revienne en France pour une durée d’un an, et ce sera bientôt chose faite. Le programme est validé, financé, et sera porté par l'Institut national d'histoire de l'Art.
Elle ne reviendra donc pas au Louvre ?
Non, mais c’est dans l’ordre des choses, car l’INHA est mieux outillé que nous pour les veilles patrimoniales sur le marché de l'art. Shadia va donc pouvoir travailler dans d’excellentes conditions, et coordonner cette veille en ayant les outils – notamment informatiques – qui lui font tant défaut au Soudan. Par ailleurs, comme c’est quelqu’un de visionnaire, elle compte tirer parti de la situation pour redynamiser la documentation de son musée et développer les outils numériques qui permettront d’avoir un fichier des collections robuste et mis à jour.
Cette collaboration que vous avez nouée avec les institutions muséales soudanaises est-elle appelée à se poursuivre dans le temps ?
Absolument ! Même si nous ne pouvons toujours pas nous rendre sur place et que nous sommes bien forcés d’attendre des jours meilleurs, je sais que dès la fin du conflit, l’archéologie reprendra ses droits. Je le souhaite de tout cœur pour le Soudan. Mais pour le moment, l’heure est à la protection des sites et des collections. Et cela passe par une internationalisation de la protection des patrimoines. C’est fondamental.
*Depuis le 15 avril 2023, l’armée régulière soudanaise, fidèle au chef de l’État Abdel Fattah al-Burhan, s’oppose aux Forces de soutien rapide (FSR) de l’ancien officier Mohamed Hamdan Dogolo. Ce conflit fratricide, baptisé « Guerre des généraux », a fait des dizaines de milliers de morts ces 18 derniers mois, et entraîné le déplacement de plus de 10 millions de personnes.
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