« Ce tableau ne se vide pas à mesure que vous le regardez, il gagne en épaisseur. »

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Le 5 février 2025

Le Portrait du roi d'Angleterre Charles Ier, d'Antoon Van Dyck, retrouve sa cimaise après plus d’un an de restauration. Blaise Ducos, conservateur en chef en charge des peintures flamandes et hollandaises, nous présente cette œuvre majeure.

Quelle place ce tableau occupe-t-il dans la production de Van Dyck ?

Il s'agit du portrait le plus célèbre de l'artiste, et sans doute aussi le plus connu d'un roi d'Angleterre. Paradoxalement l'œuvre conserve une part de mystère, car on sait qu'elle est entrée dans les collections royales en 1775, sous Louis XVI, mais on ne sait ni quand ni comment elle est arrivée en France. A force de déductions, on a pu retracer son parcours jusqu'à la cour en exil du roi Jacques II d'Angleterre, aux alentours de 1700. Mais avant cela, entre sa création à la fin des années 1630 et le début du XVIIIe siècle, nous en sommes réduits à des conjectures. C'est fascinant qu'une image de si grand format (271 x 211cm) ait pu disparaître et passer en France incognito.

Comme vous le soulignez dans le catalogue raisonné, il s'agit sans doute du plus beau portrait du musée exécuté par l'artiste. Qu'est-ce qui le rend si exceptionnel à vos yeux ?

Vous avez deux heures ! De manière générale, il s’agit d'une œuvre très riche, ce qui est d'autant plus stupéfiant qu'elle n'a fait l'objet que d'un seul dessin préparatoire. Pour le visage du roi Van Dyck a tout exécuté d'un jet, et pourtant, il y a une maîtrise et une légèreté dans le traitement de la matière exceptionnelles. Mais ce qui est sans doute le plus remarquable, c'est qu'il règne une sorte d'indécision savante sur le sujet de l'œuvre.

Qu'entendez-vous par là ?

Elle est censée représenter le roi à la chasse, mais il n'y a ni chien, ni fusil, ni gibier, et personne ne chasse. C'est étonnant… Sauf si l'on considère la chasse dans sa globalité. Charles Ier était en effet connu pour s'y adonner régulièrement et ses chevauchées pouvaient être interminables. De tels efforts impliquaient nécessairement de faire des pauses. C'est justement ce moment de relâche que l'artiste a admirablement saisi.

illustration
Portrait de Charles 1er, roi d'Angleterre (1600-1649), à la chasse, A. Van Dyck

Qu'entendez-vous par là ?

Elle est censée représenter le roi à la chasse, mais il n'y a ni chien, ni fusil, ni gibier, et personne ne chasse. C'est étonnant… Sauf si l'on considère la chasse dans sa globalité. Charles Ier était en effet connu pour s'y adonner régulièrement et ses chevauchées pouvaient être interminables. De tels efforts impliquaient nécessairement de faire des pauses. C'est justement ce moment de relâche que l'artiste a admirablement saisi.

Qu'est-ce qui permet de le comprendre ?

Ce ne sont pas les hommes présents sur le tableau qui l'évoquent avec le plus d'éloquence, mais le cheval. On a souvent dit qu'il inclinait la tête devant son souverain, mais cette vision est fantasmatique. En réalité, l'animal sort d'une course effrénée avec son maître. Il est hors d'haleine, et ce que l'on voit n'est pas un geste de soumission. Il essuie simplement l'écume de ses lèvres sur sa patte. Cette scène illustre la grande familiarité avec la chasse et les animaux de Van Dyck. Elle vient transformer le tableau en tout autre chose qu'un portrait : c'est une fenêtre ouverte sur un récit plus large. L'œuvre est d'ailleurs animée par des forces centrifuges très fortes, générées par les regards, les échappées et les perspectives, qui traduisent l'importance accordée au "hors cadre" par l'artiste.

Dans quelle mesure ?

Le roi ne peut pas seulement être accompagné d'un écuyer, d'un page et d'un cheval, c'est impossible. On devine une compagnie plus large située en dehors du tableau. Le génie de Van Dyck réside précisément dans le fait qu'il réussit à suggérer la présence d'une foule de courtisans, mouvante et bruyante, alors que le tableau est posé, majestueux, et serein. Plus que le roi lui-même, c'est le royaume tout entier qu'il met implicitement en scène. Car que fait-on quand on est un souverain et que l'on chasse ? On parcourt ses terres. C'est pour cette raison qu'au fond à gauche du tableau, on aperçoit un bateau sur la mer, qui vient rappeler la puissance maritime de la Grande-Bretagne. Il y a absolument tout dans ce tableau. Même des références autres que britanniques.

Lesquelles ?

Deux éléments apparaissent comme des citations évidentes de peintures italiennes : le coude promontoire du roi, qui pose le personnage de façon spectaculaire, fait clairement écho au portrait dit de l'Arioste par Titien. De même la posture du cheval, qui renvoie à une composition du même artiste : L’Adoration des mages. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si on dit souvent qu'en s'attachant Van Dyck, Charles Ier s'était offert le Titien de son époque...

Comment expliquer ces références italiennes ?

Van Dyck est un peintre itinérant, qui a été formé dans plusieurs cours italiennes avant de travailler pour les Habsbourg à Bruxelles. C'est un artiste doté d'une culture continentale, qui se confronte à la culture picturale anglaise, qu'il va d'ailleurs largement contribuer à féconder.

Cela traduit-il aussi la volonté de l'artiste de se mesurer à d'autres ? 

Il ne faut pas perdre de vue que Van Dyck est un peintre de cour. Or le propre d'une cour est de parler essentiellement à elle-même et aux autres cours. Ce tableau entretient de fait un dialogue "combatif" avec d'autres grands portraits royaux. Un exercice dans lequel Van Dyck s'est malheureusement consumé.

 Pour quelle raison ?

 A certains égards, Van Dyck a été victime de son talent. Son histoire est celle d'un petit prodige, capable de tout faire (un peu comme Picasso qui peignait comme un maître à 15 ans). Sa malédiction a été de peindre des portraits magnifiques, car toutes les cours d'Europe ont voulu avoir le leur. Van Dyck s'est laissé happer par cet engouement, et il n'est pas parvenu à se dégager de ses commandes. 

Un talent qui, selon votre analyse, passe par un travail minutieux sur les corps. Le retrouve-ton dans ce portrait de Charles Ier ?

Il y a effectivement un canon dans ce tableau. Les proportions humaines sont rigoureusement respectées : la tête du roi fait 1/8 e de son corps, et toutes les autres parties sont soulignées et scandées par un fractionnement exact. Ce respect de la mathématique des proportions n'est pas étranger à l'impression de naturel et d'élégance qui se dégage des personnages peints par l'artiste. Tout à l'air fluide, presque débonnaire et nonchalant, mais en réalité tout est savamment calculé. Ce tableau superpose des niveaux de sens et de profondeur. Il ne se vide pas à mesure que vous le regardez, il gagne au contraire en épaisseur. C'est le propre des chefs-d'œuvre…

Qu'est-ce qui a motivé sa récente restauration ?

La décision de le restaurer, prise il y a deux ans, n'était pas liée au fait que l'œuvre était véritablement en danger. Néanmoins, on était arrivé à un stade d'insatisfaction visuelle qui justifiait une intervention. Le vernis s'était oxydé notamment, et le tableau était devenu jaune et sombre.

Cette restauration a-t-elle constitué un gros chantier ?

Elle a mobilisé pendant un an quatre restaurateurs : deux restaurateurs "support" (Luc Hurter et Jean-Pascal Viala), et deux chargés de la couche picturale (Cécile Des Cloizeaux et Frédéric Pellas), auxquels je tiens à rendre hommage. La durée de la restauration pourrait suggérer une certaine difficulté de mise en œuvre, mais elle s'explique essentiellement par la taille de l'œuvre. Au-delà du format, la restauration n'a pas présenté de défis techniques nécessitant l'utilisation de procédés innovants.

Que pensez-vous du résultat ?

Je suis ravi, même ému par le rendu final. Tout reprend vie, tout s’anime. On redécouvre un Van Dyck au plus haut. Certains éléments qu'on ne voyait plus ressortent, comme le visage du roi, ou le ciel gris bleu. Les grandes qualités de l'artiste se révèlent de nouveau, comme celles de peintre animalier et de paysagiste. On s'aperçoit d'ailleurs que toute la peinture de paysage du XVIIIsiècle en Angleterre est en germe dans ce tableau.

Ce portrait du roi Charles I er n'est pas le seul Van Dyck à retrouver le chemin des salles ?

Un bonheur n'arrivant jamais seul, une autre œuvre, elle aussi issue de la période anglaise de l'artiste, va bientôt être présentée au public. Il s'agit du portrait d'Anne Carr, lady Russell, comtesse de Bedford. C'est une véritable résurrection, car de mémoire de conservateur, il n'avait jamais été accroché. Nous l'avons redécouvert dans les réserves à l'occasion de la sortie du catalogue raisonné de l'artiste. Il était alors considéré comme une copie ou une œuvre d'atelier. Lorsque nous l'avons vu, nous nous sommes immédiatement dit qu'il méritait d'être restauré, avec l'intuition qu'il pourrait alors changer d'attribution. Le pari a payé : c'est un petit chef d'œuvre, peint peu après le portrait de Charles Ier. Si tout se passe comme prévu, il sera exposé à la fin du mois de février. Je me ferai une joie de le présenter plus longuement à ce moment-là…

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