Inspiration, transpiration ! Le Louvre sportif de Mehdi Kerkouche

Invitation

Le 6 mai 2024

Dans le sillage de l’exposition L’Olympisme. Une invention moderne, un héritage antique, présentée au Louvre jusqu’au 16 septembre 2024, le musée a donné carte blanche au chorégraphe Mehdi Kerkouche. Objectif : transformer le plus grand musée du monde en une immense salle de danse et de sport. Un pari audacieux qui régénère l’expérience de la visite… en petites foulées.

« Nous allons nous imaginer dans les jardins du roi, au milieu des fontaines dont nous allons recréer le mouvement. On va commencer par prendre une grande inspiration par le nez, puis vider nos poumons. Voilà, comme ça c’est parfait, vous êtes superbes, on respire une nouvelle fois. » Pour les habitués des séances de yoga, l’introduction apaisante proposée par Laure Dary n’a rien de surprenant. A l’exception du fait que la trentaine d’élèves tentant d’imiter leur professeure sur leur tapis de sol ne se trouvent pas dans une salle de sport en vogue du 10e arrondissement, mais au beau milieu de la Cour Marly, au Louvre. 

L’initiative, pour le moins inattendue, a germé il y a plusieurs mois dans l’esprit de Luc Bouniol-Laffont. « Dans la perspective des JO, mon équipe et moi avons réfléchi à la manière la plus judicieuse d’articuler art et sport au sein du musée », rembobine le directeur de l'auditorium et des spectacles. Marqué depuis son arrivée au Louvre par les kilomètres de couloirs qu’il doit parcourir quotidiennement, il décide tout naturellement d’organiser une séance de sport dans le musée. « Ce qui est tout de même plus original que de courir au jardin des Tuileries, ou d’aller dans une salle de gym. »  

Pour la réalisation de ce délicat exercice de style, Luc Bouniol-Laffont va se tourner vers le chorégraphe Mehdi Kerkouche, découvert en 2020. « J’avais été frappé par sa série de vidéos “On danse chez vous’’ qu’il avait publiée durant le confinement. J’avais trouvé cette proposition formidablement généreuse, équilibrante et sympathique », explique-t-il. Une prise de contact plus tard, l’enthousiasme et les idées du directeur du Centre Chorégraphique National de Créteil (CCN) trouvaient à s’exprimer dans quatre des plus belles salles du musée. Ne restait plus qu’à les faire découvrir au public.

Cigogne, chien et sphinx

En ce mardi 23 avril, quelques dizaines d’employés du Louvre ont le privilège de découvrir en avant-première ces « visites sportives ». Alors qu’au dehors le printemps, un brin paresseux, peine à réconcilier ciel azur et mercure, la température monte d’un cran dans la Cour Marly. Cigogne, chien, sphinx : pendant un quart d’heure, les apprentis yogis passent l’essentiel du bestiaire postural en revue sur fond de musique douce. Le tout guidé par la voix de Laure Dary, qui n’hésite pas à venir au secours des équilibres défaillants en se servant du décor environnant : « Levez les bras vers la verrière et choisissez une statue. Fixez votre regard sur elle, et prenez le temps de l’admirer tout en soufflant. » 

Pas vraiment intuitif de prime abord, le mariage de l’effort et de la sensation esthétique produit finalement un effet surprenant. « Les allers-retours que l’on fait entre le lieu et l’expérience qu’on vit nous le font envisager de manière complètement différente, c’est super enrichissant », confie Camille, après d’ultimes étirements. « C’est précisément ce que nous souhaitions offrir au public, se félicite Luc Bouniol-Laffont. L’idée était vraiment de lui faire découvrir les collections autrement, dans un rapport aux œuvres et aux lieux transfiguré par le mouvement. » Lequel reprend de plus belle après une dernière expiration. Namaste. 

Direction la Cour Khorsabad, où patientent les vestiges millénaires du puissant empire assyrien… et Queensy. Exit la quiétude de la Cour Marly et les postures méditatives : la co-fondatrice du groupe BLAZIN’ est là pour nous initier au dance-hall, une danse afro-caribéenne originaire de Jamaïque dont elle est une des références en Europe. De quoi déverrouiller les hanches les plus récalcitrantes. Et surprendre le public. 

« J’ai très vite eu l’idée de proposer un parcours en tenant compte de ce que m’inspiraient les lieux. Chaque salle choisie dégage une énergie particulière, très identifiable, par conséquent trouver quelle discipline et quel art y associer s’est avéré assez évident. », justifie Mehdi Kerkouche. Et force est de constater que le dialogue entre la dance-hall - « une dans très ancrée, très terrienne » comme la décrit notre professeure - et l’énergie moyenne-orientale de la salle fait rapidement des adeptes. Lesquels, au bout d’un quart d’heure, commencent à éprouver la résistance de leurs cuisses. Ils ne sont pas au bout de leur peine.

Protéger Lutèce contre les assauts ennemis

Notre capitaine du jour, la danseuse Fanny Colliard, avait prévenu son groupe avant de le guider dans ce parcours sportif : « Vous allez vivre une expérience unique, mais vous allez transpirer. » Promesse tenue dans les espaces du Louvre médiéval, reliés au pas de course après les derniers déhanchements de la cour Khorsabad. Les lieux réunissent les vestiges du château fort construit par Philippe-Auguste pour défendre Paris ? Qu’à cela ne tienne : nous voilà transformés en vaillants soldats s’entraînant pour protéger Lutèce contre les assauts ennemis. 

Ni combats à l’épée, ni adjudant vociférant n’attendent les apprentis guerriers. Mais cela n’empêche pas Léo Bordessoule, un coach sportif sorti tout droit d’un atelier de sculpture antique, de nous livrer – à haute intensité – sa vision très personnelle du Moyen-Age. Se rappelant sans doute que la torture était en vogue à l’époque, le fondateur de la salle parisienne de coaching « Onmind » veille à la bonne exécution des fentes, des jumping jack, des squats, et autres exercices musculaires enchaînés à un rythme soutenu. Maudit par certains, le chronomètre délivre finalement les corps après une dernière montée d’escaliers. Rompez.

François Ier et Feu! Chatterton

L’ambiance change du tout au tout quelques minutes plus tard, à notre arrivée dans la salle des Cariatides. Si, au fil de l’histoire, l’espace a endossé plusieurs fonctions, il en est une qui a particulièrement inspiré Mehdi Kerkouche pour son quatrième et dernier atelier. « A l’origine, elle servait de salle de bal sous François Ier. Y proposer de la danse était donc une évidence. » Et pas n’importe laquelle serait-on tenté d’ajouter. Le danseur et chorégraphe Salim Bagayako propose en effet à ses élèves d’un jour de s’initier aux joies du disco. En dix minutes à peine, celui qui a notamment dansé pour la chanteuse Mariah Carey réussit le tour de force de leur faire assimiler une poignée d’éléments chorégraphiques qui auraient fait merveille au Studio 54. Le tout devant des chefs-d’oeuvre de la sculpture antique grecque. 

Cette ultime association des corps en mouvement et de la beauté marmoréenne sera aussi la dernière du parcours. Un itinéraire bis s’inscrivant dans une logique d’appropriation du musée que Luc Bouniol-Laffont et ses équipes veulent continuer d’élargir. « Le Louvre est un lieu inspirant, et tous les artistes y ont leur place, précise-t-il. Que ce soit Mehdi Kerkouche, ou plus récemment le groupe Feu! Chatterton et le chef d’orchestre Klaus Mäkelä, tous posent un certain regard sur le musée, ses collections, ou ses expositions. Et c’est cette singularité que l’on recherche. Par ailleurs, cette approche nous permet d’aller à la rencontre de publics différents, qui ne viennent peut-être plus au Louvre ou qui ne l’ont pas encore découvert. Avec des événements comme celui que nous organisons avec Mehdi, nous ouvrons en grand les portes du musée. » Et les chakras de ses visiteurs.

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